12

 

 

 

Rhapsody s’était si bien habituée à frissonner et à ramper dans les cailloux froids et mouillés qu’elle avait oublié ce que ça faisait d’être sèche et de ne plus claquer des dents. L’odeur de moisi de la terre et de l’eau croupissante imprégnait tout.

Elle ne se rappelait même plus depuis combien de temps ses vêtements étaient humides. Par moments il lui semblait qu’elle n’avait jamais connu d’autres vies que celle-ci, que ses souvenirs du Passé se confondaient avec ses rêves. La réalité se résumait à cette marche sans fin le long de l’Axis Mundi.

Ils grimpaient, cheminaient et rampaient à genoux depuis si longtemps maintenant qu’ils ne connaissaient plus rien d’autre. Le Temps passait inexorablement ; après chaque plage de repos tourmenté, ils se réveillaient pour faire face à la même réalité implacable.

Contrairement aux deux Bolgs, qui semblaient ne pas redouter les profondeurs et les espaces clos, Rhapsody passaient toujours une bonne partie de ses heures de veille à combattre en silence la crainte de la suffocation et de l’ensevelissement. Une partie de cet exercice consistait à tenter d’oublier à quelle profondeur sous la surface de la Terre ils se trouvaient, combien leur air et leur espace étaient précaires, surtout lors des affaissements, fréquents.

Elle appréciait de moins devoir ramper que ses deux compagnons. La plupart du temps, ils pouvaient se tenir debout, mais souvent ils devaient avancer courbés – ce qui valait à peine mieux que de ramper. Chaque partie de son corps, et surtout son dos et ses genoux, souffrait à chaque pas, à chaque centimètre gagné sur le sol rocailleux ou sablonneux du tunnel infini. Il y avait peu de répit à la torture, même dans le sommeil.

Elle échouait toujours à comprendre comment Grunthor réussissait à faire passer son corps énorme dans des crevasses minuscules dans lesquelles elle-même se sentait écrasée. Lorsque Achmed décrétait enfin la pause, en général après avoir franchi une ouverture étroite et humide, elle sombrait avec gratitude dans un sommeil d’épuisement, pour n’être réveillée que par ses cauchemars.

Plus les voyageurs s’enfonçaient dans la Terre, plus ceux-ci gagnaient en intensité, à tel point qu’une nuit Achmed menaça de la pousser à bas de la racine. Lorsqu’ils avaient assez de place, elle dormait sur Grunthor, puisant un certain réconfort dans la force de ses bras massifs, même s’il lui avait fallu un certain temps pour s’habituer à trouver cette tête verdâtre et hilare au réveil.

Le comportement d’Achmed avait changé. Dès lors qu’ils avaient atteint l’Axis Mundi, il était devenu plus réservé qu’à son habitude, voire distrait, comme s’il écoutait quelque chose, juste au seuil de sa portée. Bien qu’il ne rechigne pas à parler ou à entendre parler, en tout cas pas plus qu’auparavant, il en venait presque à chuchoter. Il apparaissait évident à Rhapsody qu’il était préoccupé, aussi essayait-elle de ne pas le déranger, et s’entretenait-elle pour l’essentiel avec Grunthor.

Lorsqu’il y avait assez d’air pour discuter tout en cheminant, les deux hommes enseignaient à Rhapsody la langue firbolg, appelée le bolg, plus par politesse qu’autre chose. C’était leur langue commune, et lorsqu’ils la parlaient entre eux, Rhapsody avait le sentiment d’être exclue. En retour, dans les rares moments où la lumière le permettait, elle apprenait à lire à Grunthor. Les leçons ne duraient jamais très longtemps.

 

Une fois, en se réveillant, Rhapsody avait trouvé Achmed lui-même pâle et suant, marmonnant dans sa barbe, comme elle en avait plutôt coutume. Le tunnel s’était rétréci depuis plusieurs périodes de marche sans répit, et plusieurs affaissements s’étaient récemment produits.

Grunthor, qui avait dégagé un gros bloc rocheux de leur chemin quelques heures plus tôt, n’avait pas bougé au bruit du cauchemar de son ami. Rhapsody leva la tête de la poitrine du géant bolg et observa Achmed un moment, puis se redressa lentement et escalada son compagnon de couche pour atteindre le point d’observation surélevé où Achmed établissait en général son campement.

En arrivant près de lui, elle sentit son propre pouls s’accélérer. Les paupières de l’homme remuaient en tous sens ; le haut de ses poumons se soulevait au rythme de ses inspirations saccadées, entrecoupées de gémissements. Elle lui caressa doucement le front en chuchotant.

« Achmed ? »

Le Dhracien lutta encore quelques instants, puis ses yeux s’ouvrirent d’un coup, immédiatement alertes.

« Oui ? fit-il d’une voix plus sèche encore que d’habitude.

— Ça va ?

— Oui. »

Elle lui caressa la joue comme elle l’aurait fait avec un enfant. « Vous avez fait un cauchemar, on dirait. »

Les yeux dépareillés la fixèrent. « Vous croyez en avoir l’exclusivité ? »

Rhapsody bascula en arrière comme si on l’avait giflée. Des yeux d’Achmed avaient jailli des étincelles, comme les disques fatals de son cwellan.

« Non, bien sûr que non, bégaya-t-elle. Je suis désolée, je voulais juste... Oubliez. »

Elle rampa de nouveau sur Grunthor, qui s’était réveillé, et s’installa sur ce torse aux muscles démesurés. Elle avait voulu demander à Achmed de quoi il rêvait, mais après sa réaction, elle avait compris qu’il valait mieux ne pas imaginer une chose capable de faire peur à un homme comme lui.

Sous elle, Grunthor ferma les yeux et écarta cette question de son esprit. Il savait déjà.

 

Achmed sembla finalement trouver ce qu’il cherchait. Ils avaient suivi la Racine jusque dans une grotte volumineuse, dont les murs étaient si éloignés les uns des autres qu’ils ne pouvaient les discerner. La silhouette en cape noire avait ralenti, puis s’immobilisa.

« Attendez ici, et essayez de vous taire, dit-il à voix basse. Si je ne suis pas revenu à votre réveil, continuez sans moi. »

Avant que Rhapsody ait pu poser la moindre question, il avait disparu.

Lorsqu’elle se retourna vers Grunthor en quête d’une explication, elle frissonna. L’expression sur le large visage était plus macabre que jamais.

« Que fait-il ? » chuchota-t-elle nerveusement.

Le géant tendit la main vers elle et l’attira vers le bas en silence. L’air était soudain plus frais. Il ouvrit son manteau, lui offrant son épaule comme oreiller. Rhapsody s’allongea et il l’enveloppa dans sa grande cape. Puis il poussa un long soupir, les yeux fixés vers le lointain plafond, perdu dans les ténèbres.

« Reposez-vous, maint’nant, mam’zelle. »

 

Achmed balaya une dernière fois du regard l’immense caverne avant de reprendre l’ascension de la Racine vers le passage qu’il avait aperçu. Contrairement aux autres tunnels, celui-ci n’entourait pas un embranchement de la Racine ; il s’étendait là, vide et silencieux, imperturbable dans l’obscurité.

Il suivait la pulsation lente et tremblante depuis longtemps déjà. Il en avait perçu les premiers chuchotements juste après qu’ils avaient quitté la première racine pour l’Axis Mundi. S’immisçant par intermittence dans le bourdonnement impérieux de l’Arbre, c’était l’écho d’un martèlement sourd et grave dans la terre, sous ses pieds.

Son intention, quand Grunthor et lui avaient élaboré leur plan d’évasion de Serendair, était d’éviter ce lieu à tout prix. Ce qui se cachait dans ce tunnel, lové dans le ventre de la Terre même, c’était la destinée horrible de l’Île. La conscience de son existence, et la perspective de son réveil, étaient précisément les raisons pour lesquelles il était parti, même s’il savait qu’un cataclysme pire encore attendait son heure pour se déchaîner. Une chose qu’il avait vue de ses yeux dans le désert au-delà du pont de la terre déchue.

Sa propre capacité à déceler son pouls ne cessait de l’étonner. Son don de sang, ce lien qui l’unissait aux battements du cœur des hommes, était un héritage reçu en tant que Premier Né de sa race sur l’Île. Mais cette chose-là le précédait ; elle venait de l’Avant-Temps. Et ce n’était pas un homme. Peut-être le nom que lui avait choisit Rhapsody par hasard dans cette ruelle d’Easton avait-il quelque chose à voir avec tout cela, peut-être lui avait-il donné accès au sang de la chose ; accès qu’en temps normal il n’aurait pas eu.

La pulsation demeurait presque imperceptible, ralentie dans les profondeurs figées, mais elle était bien là. À en juger par le volume de sang qui en parcourait les veines, il n’y avait aucun doute possible : c’était bien ce qu’Achmed cherchait.

Il s’immobilisa. Et pour la première fois de son existence, se sentit paralysé par la peur.

Sa propre mort l’inquiétait peu, ne l’avait jamais inquiété. La mort était sa partenaire, il l’avait largement dispensée autour de lui, en pratiquant son métier d’assassin. Les incessantes vibrations du monde, qui malmenaient chaque jour son équilibre physiologique, ce que d’autres appelaient la vie, voilà une chose qu’il ne chérissait pas, qu’il endurait, le plus souvent.

Il avait parfois remarqué une sorte de paix sur le visage de ses victimes au moment de les tuer, le pressentiment d’un repos prochain. Même s’il savait bien que la mort venait souvent comme un soulagement à ceux qu’il tuait, la chose l’intriguait.

Une partie de son don de naissance, c’étaient son jugement, sa sagesse. Il n’était ni un pillard ni une brute sanguinaire, comme l’était un fléau ou une guerre. Seules les sentences qu’il exécutait avaient un sens, une justice dans les dissensions complexes de ce monde. Il n’avait pas peur de rencontrer lui-même la mort. Elle lui était redevable.

Ce qui l’effrayait, c’était l’envergure affolante, époustouflante et incompréhensible avec laquelle cette macabre entité surgissait. La dévastation qui attendait cette terre était absolue. Une fois le wyrm extirpé de la terre au cœur de laquelle il hibernait, il dévorerait tout sur son passage. Et comme maître de la mort, Achmed se verrait un million de fois surpassé. Ce serait pire qu’une éclipse, un soleil noir dispensant les rayons de la ruine, dont la mort ne serait pas l’ombre, mais la lumière même, baignant le monde.

Grunthor et lui prenaient de l’avance, en partant maintenant, en s’échappant vers une autre partie du monde. Ils pourraient sans doute vivre le reste de leurs jours et mourir dans leur lit avant que la bête ne vienne les chercher. C’était là leur plan initial.

Et pourtant voilà qu’il se trouvait là, sur le seuil de son sanctuaire, en quête de l’antidote à un poison bien plus virulent qu’il pourrait jamais le décrire, et plus ancien que la Terre elle-même.

Le besoin impérieux d’essayer de sauver la vie des innocents laissés derrière lui – la populace inconsciente de l’Île, et pour finir de toute la Terre – ne manquait pas d’ironie, eu égard à sa profession. Il était à présent physiquement incapable de laisser passer cette chance, de ne pas intervenir.

Il respirait maintenant l’air glacial et amer à l’entrée de la chambre. Parce qu’il avait été l’agent de la libération du wyrm, ou son appât, parce qu’il haïssait le démon qui avait essayé de le soumettre, ou bien encore pour toutes ces raisons réunies, Achmed luttait contre l’instinct qui lui intimait l’ordre de laisser cette force monstrueuse endormie, cachée.

Il avait beau tenter de l’écarter, le besoin d’agir le taraudait sans répit. S’il n’en comprenait pas la genèse, il se doutait que cela avait quelque chose à voir avec Rhapsody.

D’une manière ou d’une autre, elle aussi était liée à tout cela. Il aurait besoin d’elle, s’il décidait de tenter le coup, il lui faudrait la convaincre qu’elle était capable de prendre cet engagement d’une importance capitale. Elle jouirait de la confiance qu’il plaçait en elle, même si, au plus profond de son cœur, la foi du Dhracien n’était pas inébranlable. Les conséquences d’un faux pas seraient désastreuses. Mais ne rien faire aboutirait à un résultat pire encore.

 

Rhapsody rêvait de pénombre. La lueur de la chandelle avait vacillé lorsque la porte de la chambre s’était ouverte en craquant. Puis le frou-frou des draps lorsque son père s’assit à côté d’elle.

Tout va bien, ma chérie ?

Dans son sommeil, Rhapsody bougea pour s’écarter de la racine, sous son oreille. Elle hocha la tête.

Noir, murmura-t-elle comme alors. J’ai peur, Père.

Il l’avait enveloppée dans les draps, l’avait soulevée et emmenée dehors, sous le ciel constellé d’étoiles.

Je faisais cela avec ta mère, quand elle est arrivée ici. Elle aussi avait peur.

Maman avait peur du noir ?

La caresse râpeuse de la barbe de son père contre sa joue, tandis qu’il l’entourait du rempart de ses bras.

Bien sûr que non. Elle est lirin, c’est une enfant du ciel. La plupart du temps, le ciel est noir. Elle avait peur d’en être éloignée, d’être enfermée. Et du noir à l’intérieur.

Dans son sommeil Rhapsody croisa ses mains froides et les enfouit au creux de ses genoux.

C’est pour ça que tu as fait une fenêtre dans le toit ?

Oui. Maintenant, regarde le ciel, mon enfant. Aperçois-tu les étoiles ?

Oui, Père. Elles sont magnifiques.

Elle voyait toujours son sourire briller dans l’obscurité ambiante.

Pourrais-tu les distinguer, si elles n’étaient pas dans le noir ?

Non.

On ne peut voir la beauté sans se confronter aux ténèbres. Rappelle-toi bien cela.

Elle croyait comprendre ce qu’il voulait dire. Comme toi, quand tu as emmené Maman vivre ici, et que les gens du village ont été méchants avec elle ?

Le sourire disparut, emportant sa lumière.

Oui, comme ça.

Pourquoi le village a-t-il changé d’attitude avec nous, Père ? S’ils méprisaient tellement Maman quand vous vous êtes mariés, pourquoi êtes-vous restés ?

Elle vit les rides sous les yeux lorsqu’il lui sourit de nouveau.

Il nous a fallu affronter ces ténèbres. Et nous l’avons fait, ensemble. Je vais te dire une chose dont je veux que tu te souviennes. Si tu dois oublier toutes mes autres paroles, rappelle-toi celles-ci : quand tu trouves ce qui dans ta vie a plus de valeur que tout le reste, tu te dois à toi-même de le soutenir – parce que l’occasion ne se présentera pas une deuxième fois. Et si tu y crois sans faillir, le monde n’aura d’autre choix que de le voir par tes yeux. Car qui le connaît mieux que toi ? N’aie jamais peur de prendre une position difficile, ma chérie. Trouve la seule chose qui compte – tout le reste se résoudra de lui-même.

Des larmes tombèrent sur la racine luminescente, sous elle. Elle avait écouté, elle s’était souvenue, elle avait pris ses paroles à cœur. Et en suivant ses conseils, elle avait tout perdu. Même lui.

 

« Rhapsody ? »

On avait prononcé son nom avec une telle douceur qu’elle crut avoir rêvé. Rhapsody ouvrit les yeux et se retrouva à scruter les ténèbres de la capuche d’Achmed, d’où ne ressortait que le regard scintillant posé sur elle. Elle hocha la tête en silence.

« J’ai une histoire pour vous. La fin n’en est pas encore écrite. Souhaitez-vous l’entendre ? »

Elle se redressa lentement et prit la main qu’il lui tendait. Comme le jour où elle l’avait serrée pour la première fois, la poigne en était ferme comme une serre, mais il avait cette fois-ci ôté ses gants de cuir.

L’espace d’une seconde, elle se crut encore dans son rêve, mais la clarté et la franchise de son regard et de ses paroles étaient telles qu’elle savait ne pas avoir pu les imaginer. Il la releva avec précaution et la mena dans un recoin abrité quelques mètres plus loin, à l’écart du géant endormi. Là, il tendit le doigt vers les ténèbres.

« Là-bas se trouve un tunnel différent de ceux que nous avons suivis. Nous en avons croisé un certain nombre, semblables à celui-ci, mais je doute que vous les ayez remarqués. Ces tunnels n’ont pas été creusés par les racines de l’Arbre, ils existent depuis bien plus longtemps, avant même que le gland de cet arbre ne rencontre la terre.

» À l’intérieur de ce tunnel, très profondément enfoui, gît un cœur qui bat. Vous m’avez demandé à de nombreuses reprises comment je savais où aller. Le fait est que je peux ressentir presque n’importe quel pouls dans mon sang. Je sais que mes paroles vous effraient, car bien que votre expression reste impassible, votre rythme cardiaque s’est accéléré. Si jamais vous vous perdez dans ce lieu, que vous tombez d’une racine ou qu’un éboulement vous ensevelisse, je saurai vous retrouver, car je connais le bruit de votre cœur. »

Rhapsody se frotta les yeux pour s’éclaircir les esprits. Ces paroles, prononcées doucement par cette voix sèche et rocailleuse devenue familière, ne ressemblaient pas à Achmed. Elle se concentra sur la musique de son ton et y trouva de l’empathie. De l’inquiétude aussi. Et de la peur. Elle secoua de nouveau la tête pour chasser les dernières toiles d’araignée du sommeil. Elle ne devait pas encore penser clairement. Elle sentait des élancements sous son crâne.

« Écoutez-moi. Je suis un pouls. D’abord c’était celui de l’Arbre même, mais sitôt que nous avons découvert l’Axis Mundi, il a changé. À présent je suis cet autre pouls. Une chose terrible demeure ici, une chose plus puissante et plus effroyable que vous ne pouvez l’imaginer, une chose que je n’oserais pas même nommer. Ce qui sommeille dans ce tunnel, aux confins du ventre de la Terre, ne doit pas se réveiller. Jamais. Vous me comprenez ? Vous avez dit une fois que vous pouviez prolonger le sommeil...

— Parfois.

— Oui, je comprends. Eh bien, il faut que vous y parveniez, cette fois. »

Les yeux d’Achmed inspectèrent le visage de la Barde tandis qu’elle se débattait pour se réveiller complètement. Il ne se montrait pas très doué, avec son explication. Il lui faudrait comprendre par elle-même ce qu’il attendait d’elle.

Depuis l’instant où elle l’avait renommé par accident, jusqu’au camouflage qui les avait sauvés des Lirins des champs et de la forêt, elle avait douté de ses propres pouvoirs, comme lui aujourd’hui. Il avait fini par supposer que ce manque de confiance en soi s’expliquait par la nécessité d’avoir dû achever sa formation toute seule. Son mentor avait disparu alors qu’il lui restait un an à étudier.

Son sang se figea à cette idée. Tsoltan avait une fois fait référence à un Baptistrel, incidemment, quand Achmed était encore esclave. Peut-être existait-il un lien entre Rhapsody et lui, un lien plus ancien qu’il l’avait imaginé.

Elle avait consommé la chair de la Racine, comme il l’avait prévu, presque depuis le début. Aucun doute sur le fait que cela l’avait affectée, tout comme Grunthor et lui-même. Ils avaient passé toute une vie, plus encore peut-être s’il en croyait ses impressions, dans ces souterrains au cœur du monde, et ils n’avaient pas vieilli le moins du monde, du moins d’après les vibrations qu’il recevait. L’Arbre relié au Temps lui-même en avait empêché les stigmates. Ils étaient même en meilleure santé, plus forts et même plus jeunes qu’en pénétrant dans les entrailles de Sagia.

Mais il s’était produit un autre changement en elle ; elle avait acquis une force intérieure qu’il n’avait pas sentie la première fois qu’ils s’étaient rencontrés. Grâce aux longues heures d’entraînement ou au don de la chair de l’Arbre, Rhapsody était en train de devenir une Baptistrelle très puissante. Il espérait que cela suffirait.

« J’ai besoin de savoir de quoi il s’agit, si vous voulez que j’en prolonge le sommeil, dit Rhapsody d’une voix douce. Vous parlez par devinettes, ou bien vous ne me racontez qu’une partie de l’histoire, ce qui est une forme de duperie. Je vous ai précisé il y a longtemps déjà que la puissance résidait dans la vérité. Je ne peux pas vous aider, si vous me maintenez dans le noir. »

Achmed expira lentement. Il la contempla quelques instants, comme s’il jaugeait son âme. « Vous m’avez baptisé Achmed le Serpent parce que ça vous a paru effrayant, n’est-ce pas ?

— Oui, je vous l’ai expliqué dès le début. Et depuis je ne cesse d’en être embarrassée.

— Vous ne devriez pas. C’est peut-être la seule chose qui m’a permis de trouver ce tunnel. Lorsque j’étais le Frère, j’étais seulement lié au sang des hommes et des femmes. C’est peut-être ce nom de serpent qui m’a aidé à entendre les battements de ce cœur.

» Dans l’Avant-Temps, alors que naissaient la Terre et les mers, un œuf fut volé à l’ancêtre de la race des dragons, le Wyrm Premier. Si nous réussissons à sortir d’ici, un jour je vous dirai son nom, mais il ne serait pas sage de le faire maintenant. » Rhapsody acquiesça d’un signe de tête. « Cet œuf a été caché ici, au cœur de la Terre, par une race d’êtres démoniaques nés du feu élémentaire. Mon ancien maître était l’un d’eux.

— Celui qui vous a donné la clef ?

— Chut. Oui. » Sa voix baissa encore d’un ton. « Le wyrm qui naquit de cet œuf a grandi ici, dans les étendues glacées des entrailles de la Terre. Il s’est développé jusqu’à ce que ses anneaux se soient enroulés autour du cœur même de la Terre. Son corps représente une partie essentielle de la masse du monde. Il est aujourd’hui endormi, mais ce que ce démon désire, c’est le convoquer, et le dresser contre cette terre. Rhapsody, je ne peux vous en décrire la taille, excepté en vous rappelant que la racine mère de Sagia n’est qu’un fétu de paille, comparée à la racine pivotante, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Et la racine pivotante n’est qu’une brindille, par rapport à l’Axis Mundi. Eh bien, dites-vous que l’Axis Mundi n’est pas plus épais qu’un de vos cheveux, à côté de cette créature. Elle a le pouvoir de consumer toute la Terre. C’était l’intention des voleurs qui l’ont déposée ici. Elle attend l’appel du démon, dont je sais avec certitude qu’il se produira bientôt. » Il cligna les yeux, et Rhapsody ne vit plus son visage. « Je le sais parce qu’il avait l’intention de se servir de moi pour précipiter les choses.

— Et c’est pour ça que vous vous êtes enfui ?

— En partie. »

Rhapsody se recula un peu et le regarda avec des yeux neufs. Jusqu’ici, elle avait cru que ses deux compagnons avaient un passé de brutes ; il était impossible d’en conclure autrement, après le massacre des hommes de Michael. Et pourtant, il y avait en chacun d’eux une certaine noblesse.

Elle avait tout de suite vu celle de Grunthor. Il était son protecteur depuis le début, avait pris sa défense face à son partenaire, l’avait aidée à grimper, protégée de ses cauchemars. Mais dans l’autre, elle n’avait jusqu’ici vu aucun signe de bonté.

On ne peut voir la beauté sans se confronter aux ténèbres. Rappelle-toi bien cela.

« Et plutôt que d’éviter ce lieu, vous nous y avez emmenés dans l’espoir que nous pourrions contenir cette force.

— Oui, si une telle chose est possible. » Les yeux désassortis scintillèrent dans le noir. « Et même dans ce cas, Rhapsody, vous ne feriez que gagner du temps. Vous n’aurez jamais le pouvoir de la détruire tout à fait, ni moi, ni aucune âme qui vive. »

Elle reposa sa tête douloureuse sur sa paume. « Je peux chanter une berceuse, mais je ne peux en garantir l’efficacité. Et il faudra que je sois tout près d’elle, si je veux qu’elle m’entende. »

Un soupir monta de la capuche. « Je m’en doutais. Grunthor et moi avons discuté de ce cas de figure.

— Et il a émis une objection, c’est pourquoi vous avez attendu qu’il dorme pour me parler.

— Attention, Rhapsody, vous avez presque l’air intelligent. Vous allez démentir l’opinion que j’ai de vous.

— J’ai une idée, mais j’aurai besoin de mon sac, dit-elle en dissimulant un sourire. Vous réussirez sans doute mieux que moi à le prendre sans réveiller Grunthor. »

 

« Avant de faire quoi que ce soit de stupide, pourquoi ne pas me dire ce que vous avez en tête ? » demanda Achmed en lui tendant son sac, au souvenir d’une nuit, longtemps auparavant, autour d’un feu de camp dans un champ, près des remparts d’Easton.

Alors je vous repose la question, Barde : qu’est-ce que vous, vous savez faire ?

Je sais dire la vérité absolue, telle que je la connais. Et lorsque je fais cela, je peux changer les choses.

Il releva les yeux pour voir Rhapsody dénouer le lien en cuir retenant la toile qui protégeait sa harpe de berger.

« Merci de votre confiance... »

Elle tira sur le chiffon déchiré pour dévoiler l’instrument. Il n’avait pas été endommagé par son séjour sous terre, pas plus que le pain de Pilam.

« Vous disiez qu’à un moment donné, cette bête sera convoquée.

— Oui.

— Et si elle n’entend pas l’appel ? » Achmed la regarda sans comprendre. Elle reformula sa pensée. « Pour convoquer quelque chose, vous devez en connaître le nom véritable. Bien sûr, je ne connais pas le nom de cette chose. Mais si nous pouvions brouiller l’appel, empêcher la bête de l’entendre correctement, ou de le sentir, peut-être resterait-elle endormie sans répondre. Du moins pendant un moment. »

Un petit sourire se dessina sur les lèvres d’Achmed. « Et comment comptez-vous réussir une chose pareille ?

— Je n’en suis pas encore certaine. Mais le temps d’arriver au tunnel, j’aurais trouvé quelque chose. »

 

Avec mille précautions, ils escaladèrent la grande Racine luminescente, en prenant garde de ne pas troubler le silence. Ils finirent par en atteindre le bord et la quittèrent pour la première fois, atterrissant sur le basalte noir que traversait l’Axis Mundi. Dans l’ombre, à proximité de la Racine un immense tunnel prenait naissance, si gigantesque qu’il disparaissait dans la noirceur de la roche qui l’entourait.

Plus ils s’en rapprochaient, plus Rhapsody sentait la morsure du froid. Lorsqu’ils furent assez près pour le voir, elle comprit pourquoi.

Un vent glacial montait de la vaste grotte circulaire. Ses rafales violentes lui piquaient les yeux et les oreilles, collant ses vêtements humides contre sa peau.

« Par les dieux, murmura-t-elle. Pourquoi fait-il si froid ? »

Achmed se tourna lentement vers Rhapsody et s’adressa à elle d’une voix posée. « Les esprits démoniaques qui ont caché cet œuf ont emporté avec eux l’élément feu, en retournant à la surface, pour laisser le wyrm en hibernation. Ils voulaient qu’il atteigne la plus grande taille possible avant de le relâcher. Voilà pourquoi la vermine est attirée par la lumière et la chaleur. » La percussion naturelle de sa voix paraissait plus forte, comme s’il claquait des dents.

« Ça va ? lui demanda-t-elle

Achmed sourit à travers le voile de givre qui se formait sur ses lèvres. « Je suis moi-même en train d’envisager l’hibernation.

— Que voulez-vous dire ? »

Il se pencha lentement en avant, afin qu’elle puisse entendre ses chuchotements. « C’est vous qui m’avez baptisé Achmed le Serpent. »

L’inquiétude gagna le regard de Rhapsody, qui se pencha pour essuyer le gel sur le visage de l’homme. Ses mouvements étaient à présents si lents qu’ils en devenaient presque imperceptibles.

« Par les dieux. »

Il était piégé, condamné à ce nom reptilien qu’elle lui avait donné. Qu’ai-je fait ? se dit-elle, effondré, en le regardant geler sur place. Si j’échoue et que je réveille le serpent, il sera incapable de s’échapper et deviendra sa première victime. Non, sa deuxième.

« Je vais d’abord vous ramener, dit-elle, prenant sa main frigorifiée. Vous ne pouvez pas demeurer ici. »

Avec le peu de mobilité qu’il lui restait, Achmed secoua la tête. Ses yeux perçants cherchèrent ceux de la jeune femme. « Rhapsody, dit-il au prix d’un grand effort, faites ce que vous avez à faire. J’attendrai. » Dans ses mots perçait un accent irrévocable.

Elle scruta le tunnel, plongé dans les ténèbres glacées. « Vous sentez toujours les battements de son cœur ? » Il cligna deux fois des paupières. « Bien. Allons-y, dans ce cas. Vous devrez me dire s’il réagit à ce que je fais, s’il a l’air de se réveiller. Je vais commencer doucement, aussi pourrons-nous nous arrêter, s’il le faut. Laissez-moi une seconde pour évaluer la configuration du tunnel. »

En silence, elle déposa sa harpe à terre et pénétra par la vaste ouverture, sur la pointe des pieds. Les parois étaient trop éloignées pour être visibles dans le noir, le plafond trop haut, aussi une fois à l’intérieur se retrouva-t-elle aveugle. Elle posa la main à plat sur la paroi et se pencha légèrement vers l’avant, pour essayer d’estimer la pente, mais ne vit pas grand-chose. Sous sa main la paroi était froide et sablonneuse. Le tunnel descendait et bifurquait, plus loin. Rhapsody rejoignit Achmed.

« Le wyrm doit être très loin chuchota-t-elle. Je ne vois pas le bout du tunnel. »

Achmed se débattit pour parler. « La... paroi... du... tunnel... » Elle se rapprocha de lui. « Eh bien quoi, la paroi du tunnel ? – ... c’est... une... écaille... du... wyrm. »

 

Le froid lui glaça les veines lorsqu’elle comprit le sens de ses paroles. Il avait dit que le corps du serpent représentait une grande partie de la masse de la Terre, mais elle ne s’était pas imaginé alors qu’il pouvait constituer la grotte même qui les entourait. Si l’immense paroi du tunnel n’était qu’un minuscule fragment de l’une de ses écailles et que son corps se trouvait encore à grande distance, aux confins du ventre de la Terre, il ne devait rien exister dans le monde connu capable de contenir une bête de cette taille si elle devait se lever. Et elle l’avait touchée.

Luttant contre la nausée et la panique, Rhapsody s’assit par terre et se saisit de sa harpe. Elle se vida l’esprit et s’accorda à la musique diffuse dans l’air qui les entourait. Au bout d’un moment, sa tonalité grave et fluide lui emplit les oreilles. Elle ne fluctuait pas beaucoup, à part une variation d’un demi-ton de temps à autre. Le signe d’un sommeil profond.

Lentement elle entonna la berceuse la plus simple de son répertoire, sur la même clef que la musique qu’elle entendait. Elle regarda la réaction d’Achmed, en quête d’un signe indiquant que le rythme cardiaque de la bête s’était accéléré, mais il gardait les yeux immobiles, la fixant avec intensité depuis la prison glacée de son corps.

La mélodie s’entremêla à la musique ambiante, s’accordant à sa tonalité. Petit à petit, Rhapsody ajouta un élément mélodique, et nota une légère augmentation de la température. Elle leva les yeux vers Achmed, qui cligna une fois des paupières. Toujours aucun changement.

Une pensée vagabonde vint cogner à la porte de son esprit, et Rhapsody secoua la tête pour l’écarter. Elle devait laisser en suspens la conscience de l’importance de ce qu’elle était en train de faire et des conséquences potentielles, jusqu’à ce qu’elle eût terminé. Sinon elle risquait d’être submergée par cette perspective.

Lorsque le démon convoquerait le wyrm, il utiliserait son nom véritable, qui s’accorderait en tous points à sa vibration musicale. Il lui fallait donc modifier cette vibration de manière imperceptible, la brouiller d’une chanson subtilement discordante.

Lorsqu’on utilise la musique pour nuire, il vaut mieux emprunter des variations légères plutôt qu’extrêmes,lui avait dit son mentor. Si elle s’y prenait assez lentement, qu’elle modifiait la tonalité par très petites touches, peut-être le wyrm ne remarquerait-il pas le changement infime – changement qui suffirait néanmoins à interférer avec l’appel de son nom.

Rhapsody respirait au diapason de sa chanson ; son corps tout entier en battait le rythme. Toute notion de durée s’évanouit, comme ç’avait été le cas dans les Vastes Prairies. Elle n’aurait su dire combien de temps elle joua, combien de fois elle répéta le refrain monotone, modifiant sa tonalité de manière infinitésimale. Elle en fit un rondeau, répétant encore et toujours la mélodie.

Elle introduisit un subtil changement de tempo. Soudain les yeux d’Achmed s’ouvrirent en grand : le rythme cardiaque avait bondi, l’océan de sang du reptile s’était mis à affluer. Il cligna furieusement des yeux.

Rhapsody le remarqua à peine. Elle-même s’était accordée à la chanson, qui s’était immiscée dans la moindre fibre de son être. Elle continua de jouer, montant la clef d’un demi-ton.

La paroi du tunnel se mit à vibrer alors que l’énorme bête s’étirait, changeait de position et sombrait de nouveau dans le sommeil. L’air se refroidit imperceptiblement et les battements se ralentirent. Achmed ferma les yeux et soupira, impatient de voir la fin de ce jeu dangereux.

Des heures plus tard, Rhapsody finit par se lever, épuisée. Sans cesser de jouer, elle se rendit à l’entrée du tunnel. « Samoht, dit-elle à l’instrument. Joue sans t’arrêter. »

La harpe poursuivit sa berceuse lorsque les doigts de la jeune femme lâchèrent les cordes. Le rondeau continua de tourner, répétant à l’infini la même mélodie complexe. Rhapsody posa avec précaution l’instrument sur le sol du tunnel, non loin de l’entrée, puis recula, sans que la harpe, Samoht, s’arrête de jouer.

Rhapsody tourna les talons et s’empressa de rejoindre Achmed, dont les yeux étaient à présent fermés. Luttant contre la fatigue, elle se dressa sur la pointe des pieds et lui chanta son nom à l’oreille. « Achmed le Serpent, réchauffe-toi. Viens. »

Achmed cligna des paupières mais resta immobile. L’ordre de la chanson n’avait pas fonctionné.

L’épuisement la submergea et consuma le peu de volonté qu’il lui restait. Elle refoula ses larmes en luttant pour demeurer debout, lui prit les bras et le tira vers elle de toutes ses forces. « Venez, je vous en prie. »

Toujours aucune réaction. Rhapsody tira plus fort dans l’espoir de le traîner loin de la gueule du tunnel, mais ses forces l’abandonnèrent et elle ne réussit qu’à faire basculer son corps gelé à terre, où il resta inerte.

Les larmes se mirent à couler, et le fait même de pleurer la laissa trop fatiguée pour penser. Grunthor. Il fallait aller chercher Grunthor.

Presque aveuglée par les larmes, elle tituba en direction de la Racine où ils avaient laissé le géant. Elle finit par y arriver, bascula et atterrit à plat ventre à la surface scintillante de l’Axis Mundi.

Elle resta allongée là un moment, trop épuisée pour aller plus loin, l’oreille appuyée contre le sol bourdonnant. Le chant de la Racine lui emplit de nouveau la tête, lui apportant douceur et réconfort.

Rhapsody inspira profondément. La musique de la Racine l’avait déjà soutenue, auparavant. Même dans cet état d’épuisement le plus total, peut-être se trouvait-il de la force dans laquelle puiser. Elle entonna sa note baptistrale,ela, et tenta de l’accorder à la modulation de l’Arbre.

Au bout de quelques minutes, elle sentit une fragile étincelle d’énergie lui gagner les jambes, et se releva lentement. Grunthor était là, tout près. Il fallait le trouver. Elle en avait la force.

L’esprit concentré sur la chanson de la Racine, elle reprit son chemin de torture, pas après pas, la tête baissée, respirant lentement, jusqu’à sentir des mains gigantesques l’attraper.

« Mam’zelle ! Ça va ?

— Achmed, haleta-t-elle, levant les yeux vers le Bolg, qui tremblait. Aidez-moi à le sortir de là. »

Sans un mot, le géant la prit dans ses bras et partit en courant dans la direction d’où elle était arrivée.

 

Achmed gisait toujours à terre, immobile, lorsqu’ils le rejoignirent. Tandis que Grunthor retirait son pardessus, Rhapsody se mit à tapoter le visage du Dhracien, en quête de signes de conscience. Elle faillit hurler de joie en voyant le regard mauvais et familier irradier des traits figés ; son regard qui cherchait le sien.

Avec des gestes efficaces, le géant l’enroula dans son manteau, puis le mit debout. Grunthor hissa le corps d’Achmed, trop raide pour être même plié, sur son épaule. Il se tourna vers Rhapsody. « Vous allez pouvoir marcher seule, mam’zelle ? »

Rhapsody hocha la tête sans quitter Achmed des yeux. La couleur lui revenait aux joues, et il commençait à remuer très légèrement les membres. Rhapsody sourit. Elle lui prit la main et la serra ; elle ne fut pas surprise de sentir ses muscles résister. Il se pencha de quelques centimètres en avant et lui murmura à l’oreille : « Regardez. »

Elle se retourna pour fixer le tunnel. Il se remplissait petit à petit de fins filaments de lumière, comme une toile d’araignée iridescente. À chaque répétition de la mélodie se formait un fil, qui s’attachait en un motif circulaire aux parois énormes du tunnel.

« Le chant gèle sur place », murmura-t-elle, fascinée.

À chaque reprise, les filaments épaississaient et la chanson se faisait plus puissante. La clef en était à présent plus haute de trois notes, et, avec un peu de chance, assez dissemblable pour brouiller l’appel du démon, lorsqu’il s’élèverait. Le rondeau, que les Baptistrels apprenaient tôt dans leur apprentissage afin de pouvoir chanter en harmonie avec eux-mêmes, continuait à s’élever et dessinait toujours plus de fils de soie miroitants. Chaque filament répétait en fredonnant sa mélodie rudimentaire, vibrant comme les cordes de sa harpe, en canon à quelques secondes d’intervalle.

« Ce sera bientôt la cacophonie », expliqua Rhapsody.

Grunthor acquiesça. Déjà les vibrations s’agençaient en une discorde plaisante, comme un groupe de musiciens sans chef d’orchestre, chacun jouant à sa propre cadence.

« Venez, mam’zelle. Fichons le camp d’ici. »

Rhapsody, Première Partie
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